Bataille pour l’héritage de Johnny Halliday
La très médiatique succession du chanteur Johnny Hallyday est désormais ouverte avec fracas si l’on en croit les déclarations de ses deux premiers enfants, Laura Smet et David Hallyday.
Au-delà du deuil et des sentiments filiaux légitimes, l’enjeu est clair : la transmission et la répartition de la fortune de l’idole des jeunes, ainsi que des droits à venir sur son œuvre magistrale.
Pour le professionnel du Droit, cette histoire de famille qui s’étale désormais en place publique, illustre sans fard les déchirements que vivent beaucoup de nos compatriotes lors de la disparition d’un proche, d’un parent, et qui se résument parfois à une question cruelle : peut-on déshériter un ou plusieurs de ses enfants dans notre pays ?
Or, si en France la réponse est relativement évidente, les enfants devenus « héritiers réservataires » étant pour partie protégés par la « réserve », la situation se complique si d’autres droits étrangers concurrents devaient prévaloir, en l’occurrence le droit californien.
En effet, au pays de l’Oncle Sam par exemple, point de réserve, la liberté prévaut.
Il est par conséquent intéressant de s’arrêter quelques instants sur ce cas d’école en s’interrogeant sur les mécaniques légales qui régissent ce type de conflits.
1. La succession de Johnny Hallyday : les faits connus !
Johnny Hallyday est décédé le 5 décembre dernier à Marnes-la-Coquette (92).
Il a laissé quatre enfants nés de trois unions différentes, ainsi que son épouse Laetitia Hallyday.
Johnny Hallyday résidait en Californie depuis 2014.
Il aurait établi et fait enregistrer aux États-Unis un testament aux termes duquel il léguerait l’intégralité de son patrimoine, composé de meubles et immeubles situés en France et à l’étranger ainsi que ses droits d’auteur, à son épouse.
Si la loi française garantit des droits aux enfants par le jeu de la « réserve héréditaire », tel n’est pas le cas de la législation américaine.
Le règlement de la succession de Johnny Hallyday soulève notamment deux questions de droit international privé.
La première, la loi française est-elle applicable ?
La seconde, si c’est la loi californienne qui prévaut, les règles de la réserve héréditaire s’imposent-elles néanmoins ?
2. La loi applicable à cette succession ?
L’article 720 du Code civil prévoit que la succession s’ouvre au dernier domicile du défunt, qui s’entend du lieu de son « principal établissement » (article 102 du Code civil).
La détermination du dernier domicile est une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond.
Elle dépend d’un faisceau d’indices tels que le lieu de résidence principale, le lieu des intérêts familiaux, celui des activités professionnelles, la résidence fiscale …
La nationalité, le lieu du décès, la localisation de biens immobiliers sont des éléments parmi d’autres qui ne sont pas déterminants par eux-mêmes.
Ce qui est connu du dossier semble pencher vers un domicile en Californie.
Si le Tribunal de grande instance de Nanterre (compétent en France) est saisi de la question et qu’il retient que le domicile de Johnny Hallyday se situe en Californie, le droit français ne sera pas applicable.
Dans ce cas, ses deux premiers enfants pourraient se trouver exhérédés.
3. La réserve héréditaire comme ultime rempart pour Laura Smet et David Hallyday ?
Dans l’hypothèse qui précède, les règles de la réserve héréditaire peuvent-elles néanmoins s’imposer ?
En droit français, la réserve permet aux enfants de percevoir une part déterminée de la succession de leurs parents, quand bien même ces derniers auraient établi un testament contraire.
La réserve est dite d’ordre public, car on ne peut y déroger.
L’ordre public international français permet d’écarter la loi étrangère qui serait applicable lorsqu’elle est contraire aux principes fondamentaux du droit français.
On peut donc légitimement se demander si la loi californienne, qui ne connaît pas la réserve héréditaire, contrevient à l’ordre public international français.
La Cour de cassation répond négativement à cette question et a repris cette position dans une affaire très similaire jugée le 17 septembre 2017.
Dans ces conditions, si la succession relève du droit californien, la réserve ne sera pas applicable.
La seule hypothèse dans laquelle cette loi pourrait être écartée serait dans le cas où elle entraînerait une situation de précarité ou de besoin chez les enfants du défunt.
Ça ne semble pas être le cas.
Les volontés du défunt sont désormais rendues publiques avec l’ouverture de son testament. Et même si elles paraissent se heurter au droit français, il a souhaité qu’une autre législation s’applique, emportant des conséquences très différentes pour ses héritiers.
Et l’on ne pourra pas s’empêcher de s’interroger à cette occasion sur les moyens que certains déploient pour limiter / déroger aux conséquences du droit national dans la transmission de leur patrimoine à leur décès, grâce aux largesses de droits étrangers plus libéraux.
Ainsi, après l’optimisation fiscale bien connue consistant à s’expatrier pour payer moins d’impôts, contemplerions-nous à cette occasion une forme d' »évasion successorale », ou plus simplement les derniers soubresauts juridiques de la vie tumultueuse et désormais la mort du chanteur populaire ?