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L’accompagnement d’un parent âgé en perte d’autonomie, parfois jusqu’à ses derniers jours, relève souvent d’un élan familial, nourri par l’affection et la reconnaissance. Mais lorsque cet engagement a été long, intense, voire sacrificiel, une question délicate se pose au moment de la succession : peut-on réclamer une indemnité ? Et surtout, jusqu’à quand ? C’est précisément à ces interrogations qu’a répondu la Cour de cassation dans un arrêt important du 30 avril 2025 📅 (1re civ., n°23-15.838, publié au Bulletin).

Contexte familial et contentieux successoral 😓

Dans cette affaire, une fratrie de sept enfants devait régler la succession de leurs parents décédés respectivement en 1989 et 2014. Parmi eux, une fille, Mme O, avait pris soin de leur mère, jusqu’à son décès, en l’hébergeant, en l’assistant au quotidien, et ce, pendant une décennie.

En 2019, dans le cadre de la liquidation-partage des successions, Mme O avait demandé une indemnité de 35 000 euros au titre de l’assistance apportée. Le tribunal judiciaire de Lille lui avait donné raison, décision confirmée par la cour d’appel de Douai le 3 novembre 2022.

Mais plusieurs cohéritiers ont contesté cette indemnité en saisissant la Cour de cassation, invoquant la prescription de cette créance, ainsi que l’irrecevabilité d’autres demandes soulevées en appel. Deux enjeux juridiques majeurs étaient en balance.

L’indemnisation pour aide familiale : une créance fondée sur l’enrichissement sans cause ⚖️

Dans un premier temps, il a fallu déterminer si Mme O pouvait légitimement obtenir une indemnité. La réponse est oui, sous conditions strictes. En effet, lorsqu’un enfant prend en charge un parent, il ne peut réclamer une rémunération que si l’aide apportée excède les simples devoirs de la piété filiale.

La Cour rappelle ce principe fondamental issu de sa jurisprudence :

« L’aide et l’assistance apportées par un enfant à ses parents peuvent donner lieu au paiement d’une indemnité dans la mesure où, excédant les exigences de la piété filiale, les prestations librement fournies ont réalisé un appauvrissement pour l’enfant et un enrichissement corrélatif des parents. »
(Cass. 1re civ., 30 avr. 2025, n°23-15.838)

Cette indemnité ne repose pas sur un contrat, mais sur la théorie de l’enrichissement sans cause, désormais codifiée aux articles 1303 et suivants du Code civil, selon lesquels :

« Celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit à celui qui s’en trouve appauvri une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
(Article 1303 du Code civil)

⚠️ Toutefois, cette indemnisation reste subsidiaire : elle ne peut être invoquée que si aucune autre action juridique (contrat, quasi-contrat, etc.) n’est possible.

Prescription : le compte à rebours commence au jour de l’assistance ⏳

Le nœud du litige portait sur le point de départ du délai de prescription. La cour d’appel avait considéré que la créance de Mme O était née au décès de sa mère, en 2014, ce qui rendait sa demande de 2019 recevable dans le délai quinquennal de droit commun.

La Cour de cassation casse cette décision, rappelant avec force que :

« La créance en résultant, immédiatement exigible auprès de ses bénéficiaires, se prescrit selon les règles du droit commun, soit cinq ans à compter de la date à laquelle celui qui la revendique a connu les faits lui permettant d’exercer son action. »
(Article 2224 du Code civil)

En clair, la prescription court à mesure que les soins sont apportés, non pas à compter du décès. Chaque mois de soins fait naître une créance nouvelle, qui devient immédiatement exigible. Cette analyse rejoint celle appliquée en matière d’indemnisation des frais engagés dans l’indivision ou des mensualités de prêt remboursées pour un bien indivis.

⚠️ Ainsi, dans le cas jugé, seule une fraction des sommes réclamées pouvait encore faire l’objet d’une action à la date de l’assignation (février 2019). Le reste était prescrit.

Des conséquences très concrètes pour les héritiers aidants ‍👩‍⚕️🏠

Cet arrêt a une portée pratique majeure. Il impose à tout héritier ayant assisté un parent de :

  • Réunir les preuves de la réalité et de l’intensité de l’aide fournie ;

  • Évaluer objectivement son appauvrissement et l’enrichissement corrélatif du parent ;

  • Et surtout… agir sans tarder, avant l’écoulement du délai de 5 ans à compter de chaque acte d’assistance.

Beaucoup d’enfants aidants s’imaginent, à tort, qu’ils pourront « se faire indemniser » au moment du partage. Cette décision les détrompe : attendre l’ouverture de la succession, c’est déjà prendre le risque d’une prescription !

L’indemnité d’occupation, une autre source de conflit en indivision ️🏚️

Autre point tranché par la Cour : la possibilité de réclamer une indemnité d’occupation à un cohéritier ayant joui seul d’un bien indivis.

En l’espèce, Mme J, sœur de Mme O, aurait elle aussi résidé dans la maison familiale. Ses frères et sœurs, l’apprenant au cours de la procédure, ont demandé une indemnité… en appel seulement. La cour d’appel les a déboutés, au motif qu’ils auraient dû soulever ce point en première instance.

❌ La Cour de cassation censure cette position et rappelle que :

« En matière de partage, les parties sont respectivement demanderesses et défenderesses quant à l’établissement de l’actif et du passif, de telle sorte que toute demande doit être considérée comme une défense à la prétention adverse. »

Par conséquent, une telle demande peut être formulée pour la première fois en appel, dès lors qu’elle tend à faire écarter une prétention adverse. Elle ne constitue donc pas une prétention nouvelle au sens de l’article 564 du Code de procédure civile.

Faire appel à un avocat en droit des successions : une prudence indispensable 🧠⚖️

Cette décision montre à quel point le règlement d’une succession peut devenir complexe, surtout lorsqu’interviennent :

  • des créances croisées entre cohéritiers,

  • des occupations prolongées de biens indivis,

  • ou des aides informelles qui n’ont jamais été contractualisées.

Dans ce contexte, consulter un avocat spécialisé en droit des successions dès les premiers différends est essentiel :

  • pour analyser les délais de prescription applicables,

  • pour documenter les créances éventuelles avant qu’il ne soit trop tard,

  • pour maîtriser la procédure du partage judiciaire et les règles de recevabilité en appel.

Le cabinet peut également anticiper d’éventuels recours devant la Cour de cassation, qui suppose une argumentation très technique sur le fondement des articles 564, 565, 2224 et 1303 du Code civil.

Une clarification bienvenue… mais exigeante ⏱️

En conclusion, cette décision du 30 avril 2025 apporte une clarification nécessaire sur les créances d’assistance familiale. Elle consacre leur exigibilité immédiate, leur soumission à une prescription quinquennale, et confirme la souplesse procédurale des demandes en partage successoral en appel.

Mais elle impose aussi aux héritiers de ne plus confondre solidarité familiale et obligations juridiques. À défaut de vigilance, l’engagement affectif peut devenir… juridiquement invisible.

🧭 Une fois encore, être bien accompagné par un cabinet d’avocats spécialisés en droit des successions n’est pas une option : c’est une garantie de sécurité patrimoniale et de préservation des droits.

Omega Avocats Succession

Omega Avocats, Cabinet d'avocats spécialisé en succession à Paris, Lyon, Nice & Rennes